Les photos ci-après illustrent l'état initial de l'ouvrage.
Bilan initial
Avant toute restauration, il est important de faire un bilan d'état de l'ouvrage, de façon à avoir une idée assez claire du "possible" et de l"impossible" ... et ne pas risquer d'être déçu.
D'emblée, le livre est "explosé", et devra donc être recousu. Par contre, les pages sont relativement propres et demanderont peu de travail.
La couverture est en mauvais état. On voit des boursouflures d'humidité sur le 2ème plat. Une partie est même franchement décollée. Cette partie pourra être recollée, mais la plupart des boursouflures ne pourront pas être résorbées. On voit également que le dos présente des manques. La toile de renfort sera donc visible dans ces zones.
Les gardes couleurs grises sont assez délabrées, avec des manques au niveau des anciens rubans. Je ferai le choix de les remplacer à neuf. Il faut être conscient que la conservation des gardes couleurs est souvent très délicate, voire décevante. Personnellement, je préfère en général sacrifier un peu l'authenticité stricte de l'ouvrage et opter pour leur remplacement. Je reconnais toutefois que ce choix peut être discuté.
La couleur rouge du tissu (percaline) est une teinte classique pour beaucoup de livres du XIXème. Une toile d'un coloris très proche se trouve facilement dans le commerce (Relma Paris). Un teinture liquide également très approchante se trouve au rayon des teintures cuir (Marque Saphir, plutôt par Internet que chez les cordonniers, qui ne vendent plus guère que des crèmes).
Débrochage, nettoyage, pose d'onglets et couture
D'abord, on ne pourra ni ébarber les feuillets, ni rogner la tête d'ouvrage, le format étant imposé par la couverture. De la sorte, on sauvegardera ainsi les tranches dorées, s'il y en a.
Par ailleurs, on remarque sur la photo 5 que 6 fentes de grecquage ont été reprises parmi les 12 anciennes fentes (technique du XIXème), de façon à loger 2 chaînettes et 4 ficelles dans un positionnement non-standard. Le fait de reprendre d'anciennes fentes plutôt qu'en créer de nouvelles selon les gabarits usuels assure une meilleure restitution de l'alignement des cahiers, et par conséquent des dorures de tranches.
Endossure, mousseline et Krafts
Cette étape fait également partie des bases de la reliure.
Les ficelles sont coupées à 15 mm environ, partagées en deux et chaque demi-ficelle est rabattue et collée dans le mors de l'ouvrage. Sur la photo 8 on aperçoit 2 ficelles sur les 4 qui n'ont pas encore été rabattues.
Création d'un soufflet
Le soufflet est un dispositif qui permet que le dos ne soit pas collé directement sur l'ouvrage. Ainsi lorsque l'on ouvre le livre, un espace vide apparaît entre le dos et le corps d'ouvrage, ce qui facilite l'ouverture du livre sans abimer le dos. En reliure classique, ce rôle est usuellement rempli par le "faux-dos".
Les photos suivantes illustrent la construction du soufflet.
- la largeur est mesurée sur le dos du livre à l'aide d'une bande de papier
- le longueur est égale à la hauteur des cartonnages (et non des cahiers).
La pièce (b) est une bande de papier Kraft trois fois plus large que la pièce (a), et de même hauteur.
On élague la pièce (a) sur ses 2 bords, puis on la colle au centre de la pièce (b). On referme les 2 volets de la pièce (b) en les collant l'un sur l'autre, de façon à former un tube (le vide est visible sur la photo 11). On a également dégagé la face papier sur 20mm à chaque extrémité, comme on peut le voir sur la photo 10.
La photo 12 illustre la préparation du collage du soufflet. L'ouvrage est disposé dans la presse. L'éponge sert à humecter le soufflet pour le rendre suffisamment malléable et propre à épouser l'arrondi du dos.
On encolle (colle plastique) le soufflet sur sa surface (c) (photo 12) en veillant bien à ce que les zones dégagées (e1) et (e2) ne reçoivent aucune trace de colle. Puis on applique (c) sur (d) en observant un centrage précis du soufflet. On doit assurer un collage parfait du soufflet, bien adhérent sur ses bords. La photo 13 montre le soufflet en place.
Préparation intérieure des plats
Les gardes couleurs grises, très délabrées, ne seront pas conservées. Leur partie volante a donc été supprimée.
Par contre il est assez délicat de décoller complètement la garde collée. Si elle ne montre pas de signe de décollement initial (dû à l'humidité), il est préférable de la conserver. On se contentera de la dégager sur les remplis, la partie centrale restant comme "comblage". La limite des remplis est en général visible par un léger relief. On marque cette limite à la pointe (photo 14). En humectant le papier le long des remplis, on le dégage alors facilement en le grattant avec la pointe.
Dans le cas seulement où la garde collée montre des zones de décollement, alors il faut absolument la décoller complètement à l'éponge et à la pointe, mais c'est un travail extrêmement fastidieux.
La photo 15 montre les 2 plats ainsi traités. Les remplis ont été dégagés. Ils ont été relevés en (b1), (b2), (b3), (b4) sur environ 15 mm. Enfin ils ont étés recolorés à la teinture rouge.
La surface papier a été poncée de façon à égaliser les zones déchirées, particulièrement le long des arêtes (a1), (a2). Dans le cas présent (assez rare), le 1er plat présentait des reliefs (visibles sur la photo 1) que l'on retrouve au revers (photo 15). On peut choisir soit de combler ces creux avec de la pâte à papier (rapure de papier agglomérée avec de la colle), soit de les laisser apparents. C'est ce dernier choix qui a été adopté.
Pour une meilleure finition, on pourra après reconstruction de l'ouvrage, coller un papier kraft sur ces revers et le poncer. Dans le cas présent, je n'ai pas retenu cette option.
Préparation extérieure des plats
Comme on peut le voir sur la photo 16, en (a) et (b), les angles des plats sont soit effilochés, soit dégarnis. J'ai exposé la technique de réparation dans mon message du 8 Mai.
Le tissu du 4ème plat, qui était partiellement décollé a été recollé sur place. Une couche de teinture rouge a été" appliquée pour raviver les plats et "fondre" les petits défauts. Pour cette opération, j'ai protégé les filets dorés en les enduisant de cire liquide au pinceau fin (solution personnelle).
La photo 17 montre les plats ainsi préparés.
Sur la photo 18, on a soulevé le tissu (percaline) d'au moins 10 mm du côté des mors. Afin que cette intervention soit peu visible, on arrête en général ce soulèvement sur une ligne du motif imprimé, ainsi le relief du cadre décoratif visible en (c) sur la photo 18.
Le premier plat ne présentait pas une telle ligne caractéristique. J'ai l'habitude dans ce cas (solution personnelle) de ménager, au scalpel et à la pointe, une petite rainure visible en (d), qui délimitera proprement la zone d'intervention.
Pose de la toile de renfort au dos
Avant tout, on régularise la coupe du tissu, généralement effiloché, sur chaque plat, en le recoupant au scalpel (lame quasiment neuve) sur un zinc (photo 19, coupe (a) pour le premier plat). Je préconise une recoupe à minima, quitte à laisser quelques manques.
On a mesuré à la bande de papier la largeur de tissu nécessaire pour couvrir le dos et les zones dénudées des plats. On coupe une bande de tissu neuf (notée (b) sur la photo 20) de cette largeur plus 1,5cm, de hauteur égale à la hauteur des cartons plus 4cm.
Sur la photo 20, on a positionné le premier plat sur le corps du livre, maintenu par des serre-joints. A ce stade, il est important d'assurer un positionnement parfait du plat par rapport à l'ouvrage (respect des chasses, ajustement parfait au niveau du dos). On encolle ensuite la zone dénudée du plat (colle flexible) et l'on pose le tissu (b) au fond de la zone nue. Dans le cas présent (présence de la rainure), on forme bien la rainure au plioir. Enfin on rabat le tissu d'origine que l'on colle sur la toile de renfort (en soignant à nouveau la rainure).
On peut maintenant encoller le soufflet et rabattre la toile de renfort sur le dos. La photo 21 montre le résultat des opérations précédentes.
On retourne le livre et l'on pose le 2ème plat sur l'ouvrage. On ajuste son positionnement à l'équerre, visible à droite sur la photo 22. En enfonçant la toile jusqu'au fond de la zone nue, ainsi en (d) sur la photo 22, on marque au crayon la limite du tissu à couper. En marquant ainsi 2 ou 3 repères, on peut couper le tissu au scalpel, sur le zinc, à la dimension exacte. Le tissu ainsi recoupé est alors collé comme précédemment sur le plat, puis la percaline d'origine rabattue et collée sur le tissu neuf.
La photo 23 montre le résultat de cette étape.
Fermeture tête et queue
La fermeture du tissu en tête et en queue est la même qu'en reliure traditionnelle.
La figure 14 montre l'état de départ, par ex en queue. On peut éventuellement recouper le tissu à environ 15mm de débord. Sur la figure 25 on vérifie au petit plioir les passages (ici en (a)) entre le soufflet et l'ouvrage. Sur la figure 26, on montre l'insertion du tissu, après l'avoir enduit de colle. Ici je conseille fortement l'utilisation de la colle de pâte, et non la colle rapide, afin de pouvoir travailler correctement la forme de l'ensemble. Sur la figure 27, on voit le retour du tissu de renfort en (c) et le rempli relevé en (d) que l'on rabattra et collera successivement. Enfin sur la figure 28, on forme les "oreilles" (e) en les enduisant de colle de pâte, puis en les creusant au plioir.
Récupération du dos d'origine
Le dos d'origine, soigneusement décroûté au revers (photo 29), est recoupé à minima (même si quelques lacunes subsistent) (photo 30). On le colle ensuite à la colle de pâte sur la toile de renfort (photo 31).
Comme pour les plats, on a ravivé la couleur à l'aide de la teinture en protégeant les titres et motifs à la cire liquide.
Pose des gardes couleurs (neuves)
Ici encore, je ne vais pas beaucoup innover par rapport à la reliure classique.
Les gardes couleurs sont coupées à la hauteur du carton moins 2mm, soit h, et à la longueur du livre déplié plus 2cm, soit L (photo 32). On veillera particulièrement au sens du papier, la longueur L correspondant au sens d'allongement naturel du papier. Puis on mesure au compas la plus grande chasse. La page de garde est positionnée sur le livre ouvert (photo 32). On veille à ce qu'elle couvre assez largement la page du livre en (g). On préforme le pli selon (a). Puis on reporte le compas sur les 3 côtés libres de la page; ce sont les traits (c) de la photo 33. A partir de ces repères, on recoupe la page sur la zone collée. La photo 34 la montre coupée et retournée, et l'on a tracé un trait (b) au crayon léger pour délimiter la zone de collage.
La photo 35 montre l'encollage à la colle de pâte de la demi-garde (e) et du plat (d). On effectue l'encollage en chassant l'air au chiffon à partir du centre. La colle de pâte permet un positionnement précis et tranquille.
La photo 36 montre la finalisation du collage, cette fois à la colle flexible. Avec une macule on laisse apparente une bande (f) de 5mm de large sur le première page du livre, le long de la charnière. On rouvre un peu l'encollage du dos en (k) et l'on enduit la bande charnière de (k) à (f) de colle rapide, sans excès. L'application effective de la colle se fait en maintenant le livre ouvert à 60 degrés (photo 37), position qu'il ne quittera plus jusqu'au séchage (20 minutes environ). On prendra soin de bien forcer la page de garde en fond de charnière à l'aide du plioir droit utilisé sur sa longueur, et/ou d'une règle.
La recoupe des gardes couleur est illustrée sur les photos 38 à 40.
Photo 38, on trace le contour (a) de l'ouvrage sur la page de garde. Ce tracé est visible sur la photo 39 suivant les lignes (b). On recoupe sur le zinc la page de garde le long des lignes (b), à l'intérieur du trait.
Le résultat est représenté par la photo 40
Finitions
Aucune restauration ne va sans quelques finitions.
La colle de pâte fait merveille pour consolider des bords, des coins, pour raffermir le tracé des mors, etc...
Des retouches de teinture (ou peinture) sont souvent nécessaires. Personnellement, je termine souvent par une petite couche de cire lustrée au chiffon.
Dans le cas présent, le résultat final est montré sur les photos 41 à 45.
Pour terminer, je prend 1m de recul et je tire les leçons de mon travail, histoire de faire mieux la prochaine fois.