mardi 14 décembre 2021

Restaurer des tranches dorées; un challenge "osé"

  L'ouvrage ci-après, représenté après restauration, posait un double challenge, dès lors qu'il devait être recousu.

D'abord, je souhaitais le réemboiter directement dans sa reliure d'origine, sans fendre les mors, ensuite je souhaitais retrouver les tranches dorées, avec quasiment l'aspect de miroir qui avait dû être les leurs. 

Pourtant l'ouvrage devait nécessairement être recousu. Sa construction initiale était basée sur une de ces innombrables techniques industrielles qui ont été essayées à la fin du XIXème, et pour certaines ont eu peu d'avenir. Dans le cas présent, il s'agissait d'un montage sur cahiers à 2 feuillets, agrafés sur une mousseline. Avec le temps, les agrafes ont rouillé, détruisant la mousseline et le fond des feuillets externes. Avec plus de 40 onglets à prévoir, l'objectif d'une couture qui "ne monte pas" côté dos était inaccessible. Par ailleurs, la pratique m'a montré qu'une couture classique préservait rarement les tranches dorées dans leur aspect "miroir" d'origine, en raison des inévitables décalages de cahiers, surtout en gouttière.

La méthode qui a été appliquée à de quoi surprendre. Elle s'inspire très directement de la méthode de reliure "à fils noyés", exposée dans mon article du 27 Février 2018 " Des livres brochés...aux dos arrondis". Je rappelle son principe de base, qui s'applique à un livre formé de pages séparées. Le bloc de pages est "griffé" d'un certain nombre de fentes sur le dos, puis mis en forme sur un cylindre côté gouttière. Après arrondissure du dos (non collé), des fils sont passés dans les fentes et enfin noyés dans une couche de colle. La suite est classique: mousseline, cartons, etc... La méthode a été explicitée également dans le numéro de Mai-Juin 2020 de la revue "Arts et Métiers du Livre", pages 29 à 31.

La seule différence dans le cas présent est que les feuilles, à l'origine, ne sont pas libres. Qu'à celà ne tienne, il suffisait de séparer les paires de feuilles des feuillets*, éventuellement au scalpel, quoique généralement, il suffit de suffit de tirer dessus à partir du haut.

L'idée est osée, certes: plutôt que de reconstruire les feuillets avec des onglets, on les déconstruit !!!

Et pourtant ça marche. On comprendra facilement qu'il n'y a pas pratiquement pas d'augmentation du dos, puisqu'il n'y a ni onglets ni fils de fonds de cahiers. Par ailleurs, si le bloc de feuilles est soigneusement "tassé" sur une surface plane, côté tête, et sur un cylindre, côté gouttière, les tranches dorées sont parfaitement restituées.

La photo ci-contre montre le résultat de l'opération, côté tranche de tête. On voit que le glacis doré est assez bien restitué, et que le dos de l'ouvrage n'a pas "monté", ce qui a permis de le réemboîter dans sa reliure sans fendre les mors.


 

La photo ci-dessus est une vue côté "gouttière". Là encore le doré est assez bien restitué, ce qui est difficile par une couture traditionnelle.

* Notons que l'on peut ne pas déconstruire les feuillets les plus intérieurs des cahiers, soit un sur deux dans le cas présent. Par contre il est impératif qu'il ne reste pas de feuillets emboîtés, sans quoi les feuillets intérieurs ainsi emboîtés ne seraient pas collés.