mercredi 30 septembre 2020

Une application de mosaique de cuir par sertissage arrière


Depuis mon billet du 22 Juillet 2019, j'ai continué à développer la méthode de mosaïque de cuir par "sertissage arrière" initiée dans cet article. 

L'intérêt de développer une méthode originale est qu'elle permet de progresser à chaque fois, en tirant les leçons des essais précédents. Ainsi depuis ces 2 ouvrages du 22/07/2019 j'ai présenté 2 nouveaux ouvrages le 3/02/2020, qui évitaient certains défauts des précédents.

Avec ce nouvel ouvrage, j'ai mis la barre assez haut pour me prouver que la méthode était opérationnelle. Le challenge résidait dans l'incrustation d'un dessin assez fin dans un fond doré à l'or. 

On trouvera sur les photos 
A: le  dessin initial (inachevé), qui devait illustrer le "traité des psaumes" de Saint Augustin, folio No 2 (XIème' siècle), et qui a inspiré de nombreux enlumineurs contemporains 
B: une version contemporaine .... qui a été ma principale source d'inspiration, trouvée sur Internet sur le site "www.arts-visuels-elementaire.com" (photo B), ainsi qu'une version légèrement différente dans le blog "Enluminures par Claudine"  
C: la version que j'en ai tirée

 La séquence de photos qui suit résume le cheminement de mon travail.

La première étape consistait  à créer un fond "or". Sur une peau fine (3/10) de couleur quelconque (ici noire), j'ai posé une couche d'or fin. La photo 1 ci-dessous montre ce résultat, avec simplement posée, une ébauche de l'armature de la lettre.


Par ailleurs, ayant préparé sur papier un dessin colorié des motifs à l'intérieur des lobes, je l'ai photocopié en autant que de couleurs de peau différentes, puis j'ai collé, à la colle de pâte, ces photos sur les peaux (ep. 3/10 max) qui leur correspondent; par exemple la photo 2 représente la photo du petit lobe collée sur un cuir "bordeaux".  J'ai ensuite découpé soigneusement les motifs, puis les ai séparés de leur papier simplement en les trempant dans l'eau (ph. 3). Enfin, ayant fixé l'armature du "B" par du papier autocollant, j'ai assemblé ces pièces, à la colle rapide, à l'intérieur des lobes, sur la couche d'or. Dans cette dernière étape, il convient de nettoyer constamment les débords de colle sur l'or, très délicatement à l'aide de cotons tige mouillés. Enfin j'ai appliqué la pression de l'émalène, à l'arrière, en protégeant la face avant par une feuille de polyvinyle très fine, et en maintenant l'armature en place par quelques petits points de colle. Le résultat est montré sur la photo 4, où l'or est "remonté au niveau des motifs.
Lorsqu'on retourne l'ensemble, on constate que des vides se sont créés partout où l'or est remonté en surface. Pour combler ces vides, je fais une photocopie de la lettrine au stade actuel, copie que je colle sur une cartonette ep. 2/10. Dans cette cartonette,  j'ai découpe les zones dorées (ph. 5).

 Ces fragments de cartonette sont alors reportés à l'arrière de la lettrine dans les vides qui leur correspondent. Ainsi sur la photo 6, on voit le dos de la lettrine, avec ses "vides" dans le lobe du bas, et des comblages déjà posés dans le lobe du haut.

La photo 7 montre l'arrière complètement garni. On a appliqué une légère poussée à l'émalène, cette fois de l'avant, armature en place, afin de mieux marquer le présence des comblages. Il convient toutefois que cette poussée reste modérée sous peine de voir apparaître sur l'avant des défauts éventuels de l'arrière (imprécision des comblages). Le résultat est sur la photo 8.









 L'armature en cartonette est ensuite détachée et traitée indépendamment. La construction sera évoquée rapidement. La lettre doit comporter quelques "fenêtres" faisant apparaître un fond orange (v. photo D). Je découpe ces "fenêtres" dans l'ébauche en carton. Je la revêts d'un cuir vert que je forme par pression à l'émalène sur la face avant. J'évide les zones de cuir vert qui obstruent alors les "fenêtres". Sur les bords extérieurs il vaut mieux laisser provisoirement une marge de vert , marge qui viendra "habiller" la lettrine. Je colle derrière l'armature le cuir orange ajusté exactement. Je reprends la lettrine que je découpe exactement au niveau du contour extérieur de l'armature

Je colle l'armature dessus, puis sous une légère pression d'émalène, le cuir vert vient habiller l'ensemble sur les bords.J'ai utilisé cette lettrine "B" pour illustrer l'ouvrage d'Umberto Eco "Baudolino" (Ph. D). J'ai inséré la lettrine dans un cuir "fauve". J'ai ajouté quelques fantaisies sur le dos, où j'ai incrusté des "flammes" vomies par deux chimères en relief, semblables à celles qui figurent sur la lettrine (Ph. E). Les flammes portent les titre et auteur du livre. Les tranchefiles son faites de petites bandes de cuir sur un jonc; les "garde couleurs" sont un imprimé commercial multicolore pouvant rappeler les couleurs de la lettrine.

samedi 30 mai 2020

Une reliure sans ficelles, ni rubans, ni colle....avec cousoir.

 Cet article daté du 30 Mai 2020 a de fait été profondément remanié en Janvier 2021, de façon à pallier à de grosses insuffisances de la méthode exposée. La pertinence de ce remaniement est attestée par une réalisation plus convaincante en fin de l'article.

Dans mon article du 22 Septembre 2018, je présentais un schéma de reliure sans ficelles ni rubans. La technique proposée s'apparentait à la reliure copte. Dans un article plus récent du 25 Octobre 2019, j'en donnais une version de surcroit sans colle au dos. Dans les deux cas, je proposais ces solutions pour des livres à petit nombre de cahiers (livres d'enfants), en imposant une contrainte maximale de "réversibilité"des opérations.

On connait l'importance qu'il y a lieu d'attacher à la réversibilité des opérations. C'est un principe général; toute restauration, et même toute reliure, devrait respecter ce principe suivant lequel toute opération portant sur le document d'origine devrait en principe pouvoir être défaite si besoin est.
Pourquoi déferait-on ce qui a été fait ? Soit que l'on juge, soi-même ou un autre, que l'on aurait pu faire mieux, soit que les possibilités de la technique permettent demain ce qui n'est pas possible aujourd'hui...
La question de la réversibilité porte surtout sur l'utilisation de la colle. Le collage à la colle d'amidon peut être défait par simple apport d'eau, alors que la colle chimique ne le permet pas.
Respecter ce choix est déjà une bonne précaution; mais pourtant un peu illusoire, car lorsqu'on nourrit les dos de colle de pâte pour y accrocher une mousseline, il y a peu de chances, en cas de démontage que les cahiers en ressortent indemnes. C'est pour cette raison que j'ai recherché des solutions de restauration sans colle (ou presque).

 A partir des essais précédemment cités, j'ai voulu étendre ces solutions à un ouvrage plus important, et de surcroit un ouvrage (presque) rare, et cela sans sacrifier aux contraintes maximales de réversibilité. Malheureusement, les méthodes citées précédemment s'avéraient très malcommodes dès lors que l'ouvrage dépassait 5 ou 6 cahiers. J'ai donc repris l'ensemble du processus à la base afin d'en développer une version plus efficace.

Les clés de la réussite tiennent dans les principes suivants. Utilisation d'un cousoir pour une meilleure manipulation. Simplification du schéma de couture par abandon des noeuds de chaînette" intermédiaires propres à la reliure copte, mais en conservant les noeuds extrêmes pour une meilleure solidité. Accrochage des plats à la colle réversible (colle de pâte) sur de petites surfaces.

On suivra la méthode à travers les schémas ci-après, que l'on peut agrandir en cliquant dessus.

Les cahiers font l'objet d'un grecquage comportant, par exemple 5 fentes équidistantes.
Le cousoir est équipé en correspondance par autant de fils (simples fils de grade moyen). Ces fils ne servent en fait qu'au guidage de la construction, et pourront (ou non) être retirés à la fin, simplement en tirant dessus. 

 Le premier cahier est présenté sur le cousoir équipé de la mousseline, coupée de façon à laisser libres, en largeur, les 2 fils extrêmes et en longueur débordant suffisamment pour permettre l'accrochage ultérieur des plats sur au moins 3cm..

 Le mode de couture suit le schéma indiqué ci-contre. On pourra suivre le trajet du fil entre les cahiers 4,5,6, à partir du point A4, première fente du cahier 4. On voit que l'on alterne systématiquement entre deux cahiers, de sorte que chaque cahier est relié au précédent. Par ailleurs, on n'oubliera pas les noeuds de chaînette aux 2 extrémités.

 De façon à assurer le départ de la couture, on prévoira un double noeud entre le fil de départ en A1 et le retour du 2ème cahier en A2. De même entre les deux derniers cahiers.

 Si l'on s'en tient à ce schéma, on remarquera que tous les cahiers sont cousus sur 4 travées, sauf le premier et le dernier. Si l'on veut éviter cette anomalie, on peut, comme sur le schéma ci-contre, faire un retour sur le 1er cahier (ou le dernier) - suivre le chemin A-B...L, en doublant deux des 4 travées du 1er cahier. On n'oubliera pas au retour  le double noeud au point J, avec le bout de fil A. 


Afin que l'article soit complet, j'ai rappelé ci -après la suite de construction de l'ouvrage, suivant un principe maintes fois utilisé: la pose de la couverture sur "pattes d'assemblage". Le principe est résumé par le schéma ci-après, en suivant les numéros des opérations.

On a prévu en tête du livre une garde blanche prolongée par un retour du côté du mors. De même à la fin du livre. 

1. On rabat et on colle la mousseline sur ces retours. Les retours ainsi équipés forment les "pattes" d'assemblage.

2. Sur ces pattes on vient coller un papier de couleur adaptée, mais qui n'est pas collé sur la mousseline au dos. Ici, la nature de la colle n'a pas d'importance car on est alors sur des matériaux neufs.

3. Sur les "pattes" on colle à la colle réversible, les deux plats.

4. Sur le dos papier, on colle une carte faisant office de faux-dos

5. Sur ce faux-dos on vient coller (colle réversible) le dos du livre (si on a pu le sauver; sinon on le fabrique sur imprimante).

Les seuls collages portant sur les documents originaux, sont, depuis le début des opérations (couture comprise) des collages réversibles (plats et dos) portant sur de petites surfaces.

Si l'on craint le manque de solidité du dos, qui n'est tenu que par le papier de l'étape 2, on peut doubler ce papier intérieurement par un papier indéchirable de même forme.

 

 

Les photos ci-contre montrent une réalisation.

La photo 1 montre le livre ouvert, qui s'ouvre totalement "à plat". 

La photo 2 montre le montage du 1er plat sur la "patte" d'accrochage.

La photo 3 montre l'effet de "soufflet permis par le "faux-dos".

La photo 4 montre le livre ouvert côté couvrure. On voit que le maintien de l'ouvrage est correct.





mercredi 15 avril 2020

Relier des livres brochés, d'autres méthodes

Des solutions pour relier des livres brochés (au sens que ce mot a aujourd'hui, c'est à dire des livres non formés de cahiers, donc pratiquement tous les livres publiés de nos jours) ont déjà été présentées dans ce blog.
Au delà de la solution classique, citée dans tous les ouvrages de reliure, qui consiste à coudre des pages entre elles à la machine pour former des cahiers, une solution simple et classique, par "couture à fils noyés" a fait l'objet de l'article, dans ce blog,  "un tutoriel pour la reliure d'emboitage" du 25/02/2018, puis une solution plus élaborée a été proposée dans l'article "Des livres brochés aux dos arrondis", du 27/02/2018.

Cette dernière solution permet de produire un livre tout à fait semblable à une reliure "à la française", et présente à mon sens beaucoup de qualités: rapide, robuste, élégante, simple... Cependant je ne saurais la recommander pour des ouvrages anciens, surtout dans un contexte de restauration. Le cas est rare, puisque ces ouvrages étaient toujours formés de cahiers. On rencontre toutefois des cas où les feuilles ont dû être désolidarisées, en général parce qu'une endossure "sauvage" a complètement détérioré les fonds de cahiers. La solution évoquée précédemment reste possible, mais le résultat n'est pas vraiment conforme à l'aspect d'un livre ancien, surtout au niveau de l'ouverture des fonds de pages. Dans une optique de restauration exigeante de l'ouvrage, ce point peut apparaître comme rédhibitoire.

Il y a une autre raison qui peut rendre difficile la solution par fils noyés. Dans certains ouvrages, et en particulier les éditions modernes, les marges intérieures des pages sont courtes, et l'on se rappellera que la méthode en question (comme la méthode traditionnelle par couture) oblige à en prélever une petite distance pour la couture. Ce point peut rendre l'ouvrage difficile à lire, voire impossible.

Une solution "à priori" consisterait à constituer des cahiers en regroupant des pages avec des onglets. Malheureusement, cette solution est inopérante car elle fait "monter" exagérément le dos, qu'il devient difficile d'arrondir correctement.

Les 2 solutions qui seront présentées ci-dessous s'inspirent de cette idée mais évitent son inconvénient par un décalage judicieux des onglets. Ce faisant, elles permettent de retrouver la structure traditionnelle en cahiers, et pour la deuxième méthode sans perte de la marge intérieure. Précisons toutefois qu'elles sont très laborieuses, et qu'on ne peut les conseiller que dans les cas exceptionnels qui ont été évoqués plus haut.

La première solution m'a été fournie par mon ami et professeur de dorure François Voignier. On la trouve également évoquée dans des documents anciens. La figure suivante permet d'en comprendre le principe.



Les pages sont recoupées côté marge intérieure par groupes de 6 pages. Par exemple, pour le premier cahier:
     - les feuilles 1-2 et 11-12 sont recoupées sur 6mm
     - les feuilles 3-4 et 9-10 sont recoupées sur 3mm
     - les feuilles 5-6 et 7-8 ne  sont pas recoupées

Par cette méthode, un seul onglet est posé pour réunir les 6 pages. Les 6 pages étant posées sur table convenablement alignées côté "gouttière", on encolle en une seule fois les 3 feuilles supérieures sur 9mm côté dos, on pose un onglet de 18mm, on retourne l'ensemble et l'on fait de même en repliant l'onglet sur les 3  feuilles inférieures.
L'inconvénient de cette méthode est que (voir figure), les feuille 1-2 et 11-12 ne s'ouvrent qu'au niveau du point P, la feuille 3-4 (et de même 9-10), au niveau du point Q. Il y a donc perte de marge intérieure pour ces feuilles.



La deuxième méthode, proposée ci-après, se comprend aisément sur la figure ci-dessus.  Les feuilles sont coupées comme précédemment, mais dans un ordre différent:
     - les feuilles 1-2 et 11-12 ne sont pas recoupées
     - les feuilles 3-4 et 9-10 sont recoupées sur 3mm
     - les feuilles 5-6 et 7-8 sont recoupées sur 6mm
Les paires de feuilles symétriques sont alors reliées par un onglet pour chaque paire, mais cet onglet est prolongé de façon à ramener tous les fonds de feuillets au même niveau.
Dans ce cas, toutes les pages s'ouvrent au fond de l'onglet 5-8.

 Au point de vue de la hauteur du dos, on voit que dans les deux cas, le dos a monté, au niveau de la coupe AA, de 2 fois l'épaisseur de l'onglet. Au niveau des coupes BB et CC (2ème méthode), il y a plus d'onglets mais d'autant moins de feuilles. L'épaisseur, une fois comprimée, est normalement plus mince qu'au niveau AA. Donc sous cet aspect, les deux méthodes sont équivalentes.




La mise en oeuvre pratique pour la 2ème méthode est illustrée par le schéma ci-dessus. On crée un gabarit égal au feuillet externe ouvert (par ex. avec les pages 2,11 visibles). On place une protection plastique sous la jonction des feuilles, protection que l'on peut nettoyer après chaque pose d'onglet. Pour chaque feuillet, on dispose les 2 feuilles sur le gabarit, au dessus de la protection (pages 3-4 et 9-10 sur la figure). On encolle les bords intérieurs des feuilles sur 3mm en délimitant la colle à l'aide de macules (plastiques par ex.).  On mesure l'espace réel entre les deux feuilles (en principe 0 ou 6 ou 12mm), qui augmenté des 6mm de collage donne la largeur de l'onglet. On coupe cet onglet et on le place à cheval sur l'espace mesuré . On détache le feuillet ainsi constitué en glissant un plioir dessous. A l'aide de papier gaufré (genre Sopalin), on éponge les excès de colle et l'on protège la zone de l'onglet à l'aide d'une bande de papier gaufré que l'on pointe au plioir (sans l'écraser complètement) en quelques points, ce qui permet d'empiler provisoirement les feuillets ainsi constitués

Pour la couture, et pour les 2 méthodes, on peut utiliser un fil assez gros puisqu'il vient se loger dans la partie mince du cahier.

J'ai expérimenté les 2 méthodes, qui toutes deux fonctionnent. La deuxième est évidemment beaucoup plus laborieuse que la première, car elle requiert la pose de trois fois plus d'onglets. Elle a cependant les avantages décrits plus haut au niveau du résultat.



Les photos ci-dessus montrent l'application de la 2ème méthode à un ouvrage ancien composé de 162 feuilles, dont on fait 27 cahiers de 6 feuilles. On voit que la hauteur initiale du dos, de 26mm est montée à 30mm après construction des cahiers, puis à 35mm après couture avec un fil de grade 18. L'augmentation de hauteur d'environ 1/3 de la hauteur initiale est dans la norme, et permet un arrondi dans les conditions normales.

samedi 11 avril 2020

Une mosaïque de cuir par la méthode Creuzevault

 La création de mosaïque de cuir implique généralement un travail extrêmement minutieux dans la mesure où les différentes pièces doivent s'ajuster exactement les unes aux autres, ou s'ajuster précisément dans des places prévues à cet effet.

Il existe une méthode qui ne présente pas cet inconvénient, et que l'on connait sous le nom de "méthode Creuzevault", du nom d'une dynastie de relieurs du début du XXème siècle, Louis le père et Henri le fils.

  Le principe en est simple. Des motifs de peau sont disposés et collés sur un cuir qui sera le matériau de couvrure général (fig. 1). La "tartine" est mise sous la presse, avec une plaque d'émalène intermédiaire disposée côté chair.


 
Ce qui en ressort est, côté fleur, l'image exacte de ce que l'on verra in fine, cependant les pièces rapportées se sont enfoncées dans la peau de couvrure, et réapparaissent côté chair sous forme de reliefs équivalents (fig. 2) .

On demande alors au pareur de refendre cet ensemble à une épaisseur choisie. La peau qui en ressort peut alors être utilisée comme un cuir de couvrure ordinaire

 

La seule difficulté au niveau de la conception de l'ensemble consiste dans le respect des épaisseurs.
La figure ci-dessus permet de comprendre cette condition.

On suppose que le couteau du pareur doit laisser au dessus et au dessous de la coupe une épaisseur minimum c de cuir, par ex. c=3/10mm. Il est clair que la hauteur de coupe hp demandée au pareur doit être supérieure à hmin=e+c où e est l'épaisseur des éléments de décor, et inférieure à hmax=h-c, où h est l'épaisseur de la peau avant refendage. En regroupant e+c<hp<h-c, on déduit d'abord e+c<h-c, soit e<h-2c.
Par exemple, pour un cuir d'épaisseur (avant refendage) h=10/10, avec c=3/10, on voit que l'épaisseur de l'élément de décor e doit être inférieure à 4/10. Si l'on choisit e=3/10,  la hauteur de coupe demandée au pareur sera donc comprise entre 6/10 et 7/10.

Ce calcul montre à l'évidence qu'on ne pourra guère superposer plus d'une épaisseur de décor, car en place de e il faudrait considérer e1+e2<h-2c, condition difficile à réaliser avec des épaisseurs usuelles.

Les photos jointes montrent un exemple réalisé avec l'ouvrage de Patrick de Carolis "La dame du Palatin", histoire de l'ascension sociale d'une femme, dans l'univers violent des empereurs romains.

La méthode est intéressante pour sa facilité de mise en oeuvre. Cependant elle n'est efficace que pour des décors faits de pièces indépendantes, posées sur un fond unique, comme ci-dessus. Elle le serait moins pour  un décor fait de pièces jointives, qu'il faudrait alors découper et assembler avec précision, comme usuellement.



dimanche 9 février 2020

Un étui pour des journaux...ou pour un livre


Lorsqu'on dispose d'une collection de journaux, il est fréquent de les relier par années. Outre que c'est un travail important, les journaux perdent alors une part de leur authenticité; on peut le regretter. A part de les remballer dans une caisse d'où personne n'ira jamais les déterrer, il reste une solution: les insérer dans des étuis qui pourront être mis en bibliothèque comme des livres.

Sur un autre plan, pour qui s'exerce à la reliure de création, il reste toujours au final le problème de protéger ses œuvres. Certains confectionnent des boîtes pour les loger. L'inconvénient de cette solution est que l'objet n'est alors plus visible. Si l'ouvrage est magnifique, c'est dommage ! D'autres confectionnent des étuis, c'est à dire des boites dont un côté latéral est ouvert. C'est à mon sens la meilleure solution. Ces boites sont en général parallélépipédiques, ce qui rend un peu difficile l'extraction de l'ouvrage.

La solution proposée ci-après est une solution simple, devant répondre au "cahier des charges" suivant:
     - permettre d'apercevoir, au moins partiellement l'objet, et de le saisir facilement
     - être habillé intérieurement d'un revêtement doux, et extérieurement d'un revêtement lisse
     - être facile à réaliser

En l’occurrence, l'étui est basiquement une simple boite dont un des côtés est ouvert, tronquée en trapèze, de sorte que les journaux (ou le livre) débordent partiellement de l'ouverture (photo ci-contre).

1. Coupe des cartons et habillage intérieur

Les figures ci-après donnent tous les éléments de calcul des dimensions et les pièces de carton à couper (agrandir en cliquant dessus)

Une synthèse des dimensions est donnée dans le tableau suivant, avec un exemple personnel pour un livre de dimensions 21,5x16,3x2,5, cartons d'épaisseur 3mm.

On garnit sur un bord toutes les pièces de carton, sauf le dos, d'un adhésif léger, type "papier cache de peintre" que l'on affaiblit en le posant une ou deux fois sur un support quelconque. Repérer au dos des pièces la position de cet adhésif. Cet adhésif devra être soulevé au final pour passer au dessous le matériau de couvrure.

Habiller les cartons du côté de l'adhésif, en les recouvrant, y compris l'adhésif, d'un papier velours (papier velours Relma par ex.). On coupera les pièces de ce papier un peu plus grandes que les pièces de carton, et on les ajustera après collage au scalpel ou à la poncette.

2.  Montage de l'ensemble

Les dessins ci-après donnent les étapes de montage. On assemble d'abord un flanc et le dos (1), en maintenant le dos entre deux blocs (des fers à repasser anciens sont l'idéal pour cela). Le dos est posé sur le flanc et non contre lui. On encolle le chant du dos, on le pose, mais le tissu velours absorbe la colle. On re-enlève alors le dos et on l'encolle à nouveau, puis on le pose définitivement. On fait de même pour les deux petits côtés (2), toujours par collage en deux temps, en veillant à ce que l'adhésif affaibli (marqué au dos) soit vers l'extérieur de l'étui. On charge les chants supérieurs de colle et on place le deuxième flanc, une seule fois (3). On peut régler délicatement l'assemblage, en étant conscients que toute maladresse peut entrainer l'effondrement en "château de cartes".
Après séchage, l'ensemble peut être manipulé mais reste fragile. On peut poncer délicatement certaines arêtes. On couvre tête et dos(4)  (et le pied si l'on veut), d'une cartonette qui absorbera quelques défauts d'assemblage. Enfin on couvre les arêtes d'une bande de papier Kraft à cheval.
Après séchage, l'ensemble est extrêmement solide.

3. Habillage extérieur

 Pour couvrir le tout, j'utilise un skivertex du commerce. Le plan de l'habillage est défini ci-dessous, et sa géométrie doit être respectée de manière précise (dimensions, perpendiculaires).
De nouvelles données: c, d, eta sont apparues: c est la largeur des replis de skivertex qui retournent vers l'intérieur, d est la largeur d'un petit rabat destiné à couvrir 2 arêtes, eta est une marge qui permettra de recouper exactement suivant le besoin. Personnellement, je prends généralement c=d=1,5cm, eta=1cm

Compte tenu des dimensions , on devra disposer d'un rectangle d'au moins (2A+E+2c) par (H+2E+2eta). On dessine le plan au dos de la feuille, on la coupe précisément, puis on forme les plis sauf aux lignes tirets et pointillés. Pour le skivertex, on peut marquer le pli au doigt mais jamais au plioir sous peine de casser le matériau.

Le placement de la boite doit être fait avec rapidité. On encolle la partie dos et un flanc (je conseille d'encoller boite et papier, ce qui donne un peu plus de temps). On place le dos puis un flanc à leur place puis on tente aussitôt de refermer l'ensemble dans ses plis, flancs et rabats. On dispose de très peu de temps pour rectifier l'ensemble du placement si nécessaire.
Après cela, on encolle l'autre plat, puis les rabats (3). On rectifie si nécessaire les petits rabats (7) de façon à n'avoir ni chevauchement ni débordement puis on les colle. On recoupe de même les rabats (4) pour n'avoir pas de débordement, et même 1mm de retrait, puis on les colle, en insistant car le collage du skivertex sur lui-même est difficile.

Pour les replis vers l'intérieur, commencer par les replis (6). On les recoupe sur les côtés de façon à ce qu'ils se placent normalement à l'intérieur, sans détacher complètement les petites coupes latérales, qui serviront à couvrir les angles, . On soulève le papier velours sous le Kraft affaibli, on colle le repli (6) puis on rabat le papier velours.
Pour les grands replis (5), on prendra soin d'inciser le papier velours sur 2cm au niveau des angles, incisions marquées par des (a) sur le schéma 3 du paragraphe 2. Ceci permet de soulever le papier velours sous le Kraft affaibli. Comme précédemment en recoupe les extrémités du repli skivertex sans détacher les petites coupes, on colle les replis puis on rabat le papier velours.
Enfin, avec les petites coupes laissées pendantes, on couvre au mieux les coins.

Les photos ci-dessous montrent l'étui vide, l'utilisation pour des journaux et pour un livre


lundi 3 février 2020

Deux nouvelles mosaiques de cuir par "sertissage arrière"


Un décor "précieux" 


Pour cet ouvrage notoire dans le monde de la reliure: "Dorure et décoration des reliures", d'Yves Devaux,  j'ai opté pour un décor précieux comportant au premier plat, un collier porté par un profil féminin, et au deuxième plat, une sorte de talisman rouge et or.

Les techniques utilisées ont déjà été évoquées dans ce blog: l'usage de la feuille d'or*, d'une part, et d'autre part cette technique sur laquelle je travaille (et espérons le) progresse, depuis 4 ouvrages, présentée sous le nom de "sertissage arrière" ou quelquefois "méthode aurélienne", en hommage à celle qui l'a introduite.

L'ouvrage est construit de manière non-classique en utilisant une couture sans ficelles ni rubans, apparentée au mode de couture copte. De ce fait l'ouvrage peut être ouvert à plat (v. photo ci-dessus), ce qui est un avantage pour un ouvrage didactique.

L'ensemble du décor est composé dans une peau glacée anthracite mise en forme, au premier plat, sur un profil féminin portant un collier de pierres et de perles dorées.
Le profil féminin au premier plat est réalisé par un empilage de cartons que vient recouvrir le cuir de couverture sous une pression à l'émalène.
Les perles d'or sont obtenues par sertissage arrière d'une deuxième peau dorée à la feuille*.
Les cabochons de couleurs vives sont réalisés suivant la méthode Voignier, solidifiés aux bords à l'aide de bériplast.


Au deuxième plat, le
"talisman" utilise à fond la technique "aurélienne", les zones dorées provenant d'une seconde peau collée à l'arrière de la couvrure générale.

 Titre et auteur sont rapportés sur le dos dans des logements déterminés par des faux-nerfs de formes ovales pour deux d'entre eux et ronde pour le troisième.
Les éléments du titrage sont dorés au ruban dans des pièces de titre de couleur rappelant le thème des bijoux qui caractérise le décor.

Les gardes-couleurs sont d'un papier à la cuve coloré en nuances de verts et filets dorés qui s'harmonisent avec les plats. Les charnières de peau prolongent naturellement le cuir noir de la couvrure.


 * Dans le cas présent, il s'agit de feuille de cuivre et non pas d'or.




Aux racines du temps, de Stephen Jay Gould

C'est ce même procédé de construction qui a été appliqué pour cet ouvrage du paléontologue américain Stephen Jay Gould, pape du Darwinisme, auteur de nombreux ouvrages sur ce thème ("Le pouce du Panda, etc...).
Par cet ouvrage, j'ai voulu surtout tirer les conclusions de l'essai précédent de mosaïque à plusieurs couleurs (2ème ouvrage du 22 Juillet 2020). En particulier, l'assemblage de plusieurs couleurs en "patchwork" à l'arrière ré-apparaissait, malheureusement, quoique de manière discrète, à l'avant du décor sous certaines lumières.

L'idée exploitée ici est précisément d'utiliser ce défaut pour en faire un élément du décor. Ainsi les éléments du "patchwork" seront seront dessinés de telle sorte qu'apparaissant sur l'avant, ils feront partie intégrante du décor.

Au regard du sujet, l'illustration du 1er plat s'imposait, comme une évocation imagée du Big Bang primordial de l'univers. Les pièces du "patchwork" arrière sont clairement matérialisées à l'avant sous forme de rainures.



Le second plat est une représentation plane de la Terre, obtenue par la technique de superposition également évoquée dans ce blog.

Le dos, enfin, est agrémenté de deux nerfs obliques qui délimitent une pièce de titre en 3 couleurs.

Les gardes-couleurs sont dans un papier glacé figurant une nébulosité or sur fond bleu, manière de rappeler un ciel primitif prêt à se condenser en une multitude d'étoiles.