A cette époque, l'invention du papier de bois a entraîné la généralisation du blanchiement du papier par le chlore, qui serait à l'origine de ces rousseurs (acidité) apparues au cours du temps.
Je ne reviendrai que brièvement à la fin de ce billet sur la "philosophie" et le "bien fondé" des pratiques exposées ci-dessous, en rappelant qu'en milieu institutionnel, à ma connaissance, contre les rousseurs des papiers, eh bien ...on ne fait rien !
Au bilan de ces essais, j'ai dû me rendre à l'évidence, impossible de proposer une approche générale de la question ! La diversité des papiers et des tâches fait que telle méthode qui fonctionne ici ne fonctionne plus là, et inversement. Tester, essayer, réessayer et re-tester restent les maîtres-mots de ce travail.
Résultat de ces essais, par contre, j'ai pu affiner quelque peu mes pratiques, et surtout déterminer les outils qui m'ont paru les plus efficaces pour obtenir un résultat. Je me contenterai donc de lister ces instruments, et d'en préciser un peu l'utilisation.
Le principe général d'atténuation des tâches procède de 2 idées: l'abrasion du papier et la recoloration.
L'abrasion du papier
Le schéma ci-contre montre l'effet de l'abrasion suivant la profondeur des tâches:
a) La tâche est peu profonde. L'abrasion du papier éradique complètement la tâche
b) La tâche est assez profonde, mais non traversante. L'abrasion diminue l'étendue de la tâche, mais ne la supprime pas. La couleur peut cependant s'en trouver atténuée.
c) La tâche est traversante. L'abrasion ne diminue que peu l'étendue ni la couleur de la tâche
La photo suivante présente les outils pour réaliser l'abrasion du papier: la gomme P1, le pinceau à fibres de verre P2 , le papier de verre P3 (utiliser des chûtes du papier utilisé en reliure), le scalpel à lame ronde No 25 P4 et le plioir spatule P5.
Je passerai rapidement sur l'outil le plus doux: la gomme P1. L'effet abrasif est infime ou nul. La gomme doit cependant être essayée systématiquement pour éliminer les poussières.
Les autres outils sont plus sévères:
Le pinceau à fibres de verre permet un travail localisé (tâches), voire entre les lignes et même entre les lettres.
Le papier de verre permet d'attaquer globalement des surfaces portant soit un semis de tâches assez dense, soit un nuage de rousseurs légères; c'est souvent le cas par exemple dans les marges .
Le scalpel permet, pour des tâches très ponctuelles, d'extraire une couche de papier par incision superficielle, ou, pour des tâches d'étendue moyenne, de gratter la surface sous forme de copeaux.
La photo A1 ci-dessus montre une page dans son état initial. Les tâches sont nombreuses, cependant superficielles. Elles ont pu être traitées de manière satisfaisante à l'aide des seuls outils: gomme, pinceau fibre de verre, papier de verre et scalpel. Un "reglacage" partiel du papier a ensuite été effectué en travaillant les zones traitées au plioir spatule. La photo A2 montre le résultat de l'opération.
La recoloration (avec ou sans abrasion)
Dans certains cas, après un essai d'abrasion, on aura conclu que la méthode est soit insuffisante, soit carrément inopérante. On pourra alors pratiquer une recoloration locale du papier, avec ou sans abrasion initiale.
Dans l'exemple ci-après, les outils qui ont été utilisés sont, à nouveau les outils d'abrasion P1, P2, P3, P4, et les crayons Q1 (crayon blanc Caran d'Ache Supracolor II 001) et Q2 (Pastel pencil "coquille d'oeuf" Caran d'Ache 788-541). Dans d'autres cas, on peut avoir recours à d'autres crayons de couleurs appropriées comme par exemple Q3 jaune clair Stabilo 1400/105, Q4 jaune clair Caran d'Ache Luminance 6901, ou Q5 ivoire Faber-Castell Elfenbein ivory 9201-103. Tous ces crayons sont disponibles chez Sennelier à Paris. A ces outils il faut ajouter le plioir spatule P5 et un chiffon propre.
Les photos B1 à B4 illustrent cette pratique.
La photo B1 montre l'état initial de la page.
Sur la photo B2, après le gommage, on a tenté l'abrasion des tâches. Le pinceau à fibres, le papier de verre et le grattage au scalpel ont permis d'atténuer les tâches mais non les supprimer.
Sur la photo finale B4, on a "griffé" légèrement la couleur blanche pour lui ôter son brillant, puis on a passé le crayon pastel Q2 ,qui dépose une poudre légèrement ocre sur les zones blanches, en débordant assez largement. On a ensuite fait pénétrer cette poudre en travaillant fortement la zone au plioir-spatule P5.
Enfin on a épousseté la poudre de pastel résiduelle au chiffon.
Conclusion
Il n'est pas inutile de discuter du bien-fondé de l'opération. Peut-on la qualifier de réversible ? Pas totalement en raison de l'abrasion du papier. Toutefois, le dommage au papier est (normalement) mineur.
La méthode est-elle universelle ? La réponse est non. Les papiers trop fins ne supportent pas l'abrasion (c'est le cas des livres issus de "feuilletons" reliés). C'est le cas également si les rousseurs sont trop étendues, surtout à l'intérieur du texte, ou trop foncées.
Le résultat est-il parfait ? Là encore, il faut répondre non. Quand bien même le résultat peut apparaître excellent en lumière normale, une lumière rasante révèle malgré tout les zones de travail par le changement de la texture superficielle du papier (perte du glaçage).
On ne saurait donc recommander cette pratique dans le cas de documents "de patrimoine".
Par contre, cette pratique me satisfait, personnellement, pour des ouvrages courants, tels les percalines de la tranche 1850-1914. Il faut reconnaître qu'un ouvrage largement entâché de rousseurs est peu engageant à la lecture. L'opération décrite ci-dessus atténue cet aspect à priori rebutant, et, à défaut d'un résultat parfait, restitue les conditions d'une lecture agréable.
Je terminerai cet article en précisant que l'opération décrite ci-dessus est extrêmement chronophage; compter au bas mot une vingtaine d'heures pour un ouvrage moyen. La restauration est un sport d'endurance!