Ayant largement pratiqué cette méthode pour des reliures peu ambitieuses (livres de poche), j'ai toujours regretté le manque d'élégance du produit fini, à cause du dos plat obtenu qui tient au principe même de la méthode. Cette constatation m'a amené à réfléchir sur la possibilité, pour un tel livre broché, de former un dos arrondi plus conforme aux traditions de la reliure. Je laisserai de côté des méthodes connues qui procèdent par reconstruction de cahiers, par exemple par couture (voire collage) de feuilles entre elles, en raison de l'importance du travail préalable qu'elles nécessitent.
Partant du principe même de la méthode d'emboîtage, en retenant le mode de couture par fils noyés (cf. tuto reliure d'emboîtage), j'ai développé une méthode alternative pour obtenir le résultat recherché. Le principe peut tenir en quelques mots: arrondir le bloc-livre en tassant le paquet de feuilles sur un cylindre: tuyau, manche à balai... C'est élémentaire, mais la pratique comporte tout de même quelques chausse-trappes, que je me propose d'éclairer.
Les photos, en petit format, peuvent être agrandies en cliquant dessus. On revient au blog par la croix en haut à droite de la photo.
Pour le vocabulaire, on se reportera au début de l'article du 2 Mai 2015
Matériel: Outre un matériel standard de reliure, on devra disposer de 2 bandes de carton épais un peu moins larges que le livre et d'un tube cylindrique dont le diamètre soit légèrement supérieur à l'épaisseur du livre + la somme des 2 cartons. Ainsi sur l'exemple présenté, le livre a une épaisseur de 23mm, chaque carton 3mm, le cylindre (tuyau de plomberie) 30mm de diamètre donc légèrement supérieur à 23+3+3.
A. Préparation du livre
Photo A1. On se propose de relier l'ouvrage broché "Le mystère du Masque de Fer", de Danielle et Claude Dufresne, publié chez Tallandier en 1998.
A2. On débroche la couverture en tirant soigneusement dessus.
A3. On se propose de séparer les feuilles entre elles. Une manière rapide (photo), consiste à "scier' un tranche de 1 à 2mm maximum au dos du livre à l'aide de la presse à rogner.
Cette méthode a l'inconvénient de diminuer la marge des fonds de page, s'ajoutant à la diminution qui sera occasionnée par la pseudo-couture. Au cas où l'on ne pourrait se permettre ce prélèvement, on devra arracher les pages (chauffer le dos au sèche-cheveux, ou au micro-ondes), mais il faudra nettoyer les bords de page de la colle restée accrochée. L'opération est assez fastidieuse.
A4. En utilisant une page quelconque comme gabarit, couper deux ensembles de trois pages de garde blanches, par exemple une page double (pliée), et une page simple, en deux exemplaires. Disposer ces pages de garde en début et fin du livre, les pages doubles à l'extérieur.
La justification des trois pages se trouve dans la méthode qui sera proposée pour l'assemblage des couvertures. Au final, on ne trouvera plus qu'une garde couleur et une garde blanche.
A5. Enserrer fortement le paquet de feuilles dans une bande de papier un peu moins large que le livre. Normalement, le bloc de feuilles peut alors être manipulé sans se déformer.
B. Mise en forme du bloc-livre
B1. La bloc étant positionné dans la presse entre deux plaques dépassant d'environ 1cm,, on pratique sur le dos des fentes en croix d'environ 1 à 2mm de profondeur.
B2, B3. Le cylindre (voir ci-dessus: "Matériel") est d'abord bloqué dans la presse, puis les deux cartons sont simplement posés au dessus de lui contre les flancs. Le bloc-livre est alors introduit entre les cartons, dos en dessus. De légers tapotements suffisent à lui donner la forme du cylindre.
C. Formation du dos
Le bloc-livre étant toujours enserré dans la bande de papier, peut être sorti de la presse et manipulé doucement sans perdre son arrondi.
C1. L'endossure va être entièrement réalisée à même la presse à endosser. On doit donc protéger les mors par du papier peu sensible à l'eau (papier sulfurisé, par ex.)
C2, C3.Ayant choisi les cartons de couverture, on positionne le livre dans la presse de façon à ne laisser dépasser que l'épaisseur de ces cartons. Puis on humecte le dos avec une éponge et on repousse les feuilles vers l'extérieur à partir du sommet, soit avec la pointe du marteau, soit avec la tête du marteau en la faisant glisser du sommet vers l'extérieur. On termine en rabattant fermement avec la tête du marteau les premières et dernières feuilles contre les mâchoires ferrées.
C4. Le résultat doit présenter en bouts une forme d'éventail.
D1. En desserrant la presse, on remonte le bloc-livre d'environ 5mm. On emplit de colle forte les fentes dans lesquelles on vient ensuite noyer des brins de fil d'épaisseur moyenne ( grade 20 par ex.).
D2. Le dos étant maintenant largement enduit de colle forte, on pose au dos un rectangle de mousseline qui devra dépasser d'au moins 20mm de chaque côté du livre. Sur le dos, la mousseline doit apparaître comme noyée dans la colle.
D3. On termine cette phase par une bande de papier Kraft aux dimensions exactes du dos. On laisse le tout jusqu'à séchage complet.
L'arrondi du dos se trouve alors définitivement formé.
A partir de ce point, le livre se présente comme dans le cas d'une reliure classique lorsque les ficelles ont été coupées au ras du livre (cas fréquent en restauration). Des méthodes classiques sont disponibles: Bradel, plats rapportés... Afin que l'article soit auto-suffisant, j'en propose une variante que je trouve bien adaptée au cas présent.
E1. Poncer le Kraft du dos de façon à obtenir un aspect cylindrique presque parfait.
E2. Poser les tranchefiles
E3. Remplir l'espace entre tranchefiles de 2 couches de papier Kraft.
E4. Poser une dernière couche de papier Kraft de bout en bout et terminer par un ponçage de finition.
Pour la suite, on aura coupé les cartons de couverture aux dimensions (largeur + 1 fois la chasse) x (hauteur +2 fois la chasse)
F1. Recouper la première page de garde légèrement au delà de la mousseline. Faire de même pour la dernière page de garde.
F2. Préparer 3 macules dont 2 plus grandes que le livre puis 1 autre un peu plus petite que le livre. Il en faudra autant pour l'autre face du livre.
F3. En protégeant la 2ème page de garde par une grande macule, encoller, par dessous la mousseline, le reste de la première garde.
F4. Changer la macule puis plaquer la mousseline sur la partie encollée, en la poussant bien contre les mors.
Renverser le livre pour répéter les opérations F1 à F4 (Si l'on ne veut pas attendre le séchage complet, on pourra poser le livre sur des ais, la bande précédemment encollée étant "pendante" sur le bord des ais).
Attendre le séchage complet
A partir de ce point, le collage des cartons devra se faire avec célérité.
F5. Protéger la page de garde par une petite macule (cf par. F2). Encoller la bande qui porte la mousseline puis poser au dessus un des cartons de couverture en veillant bien à son placement correct par rapport au livre (régularité des chasses). Même en appuyant fermement, l'adhérence reste faible, ce qui d'ailleurs permet de rectifier la position. Faire de même pour l'autre carton, en veillant à respecter l'équerrage de l'ouvrage.
F6. L'ouvrage étant protégé par deux cartons forts, le placer dans la presse au ras des mors et serrer très fortement. L'ouvrage peut être retiré instantanément de la presse, le collage est alors définitif (serrage "éclair").
G. Préparation de la couvrure
G1. Faux-dos: couper une bande de cartonnette couvrant le dos en largeur, avec pour hauteur celle des cartons. La coller sur le dos le long des bords seulement, en laissant libre 2cm à chaque extrémité.
G2. Couper dans la couverture d'origine les éléments de décor que l'on souhaite conserver.
G3. Dans une cartonnette aux dimensions du 1er plat, dégager les zones correspondant aux motifs de décoration. Les coller à leur place sur le premier plat.
H1. Ayant coupé un rectangle de toile dont la longueur est la longueur de l'ouvrage étalé à plat augmentée de 5cm, la hauteur celle de l'ouvrage augmentée de 4cm, on dessine au dos de la toile un trait de base à 2cm du bas, puis en posant le livre au ras de ce trait, on matérialise la position du 1er plat à 2cm du bord gauche. On encolle le rectangle de toile ainsi dessiné ainsi que la surface du premier plat. On pose le 1er plat sur la toile à son emplacement précis, puis on retourne l'ouvrage de façon à bien assurer le collage. En suivant les reliefs au petit plioir, on matérialise l'emplacement des éléments de décor. On colle ensuite la toile sur le dos du livre, puis on termine en couvrant le second plat. On peut ensuite recouper la toile sur son pourtour à une distance constante du livre, par ex. 1,5cm.
H2. Après avoir coupé les coins de la toile à 45° à une distance du coin un peu supérieure à l'épaisseur du carton, on encolle et on rabat le rempli (débord de toile) de droite en le poussant fortement vers l'intérieur. On pince ensuite les extrémités de ce rempli. On fait de même pour le rempli de gauche.
H3. Il faut maintenant rentrer la toile sous le faux dos en tête et queue (coiffes). Vérifier d'abord, ou si nécessaire dégager les passages intérieurs entre faux-dos et carton. Encoller le partie de toile devant former la coiffe (cette étape étant délicate, on pourra préférer utiliser une colle forte mélangée de colle de pâte). En ouvrant fermement le livre par son milieu, le faux-dos se dégage et l'on peut rentrer la toile sous la coiffe, en la faisant ressortir par l'intérieur des plats. On termine en collant les remplis qui restent libres sur tout le pourtour.
I. Collage des gardes-couleur
A ce niveau, il n'y a plus de différence pour cette opération avec l'emboîtage classique. On reprendra identiquement les paragraphes 16 à 20 de l'article précédent: "Un tutoriel pour la reliure d'emboîtage" du 25 Février 2018.
J. C'est fini !
Le résultat est présenté ci-contre. Passant outre les défauts dus aux maladresses du manipulateur, l'effet obtenu est le même que pour une reliure "à la française".
A partir de là un vrai travail de création au niveau des plats est toujours possible. Le monde de l'édition ne proposant quasiment plus de livres cousus, il y a lieu de penser que des solutions au problème des livres brochés seront amenées à prendre de l'importance
Ma conviction personnelle est que de cette question, on en reparlera !