Comment traiter des livres initialement "brochés" ? Mais d'abord qu'est-ce qu'un brochage ?
Je prélève la définition dans Wikipedia
"Le brocheur, ou plus souvent la brocheuse (bonjour les machos ! ndlr) est celui ou celle qui ... plie et coud les feuilles d'un livre et recouvre celui-ci d'un papier préparé pour cet usage ".
Le plus important est dans les sous-entendus. Il s'agit en principe d'un travail de couture simple, sans cousoir ni machine, avec une couverture sommaire en papier. Evidemment l'industrie moderne a mécanisé ce travail, mais le brochage manuel a fait vivre de nombreuses femmes au XIXème.
Ce procédé sommaire produisait des livres très fragiles, que l'on retrouve aujourd'hui très déglingués.
L'attitude la plus courante consiste à les remonter en reliure standard, avec couvrure cartonnée simple ou artistique, l'ancienne couverture papier étant rapportée à l'intérieur.
Personnellement, je trouve cela regrettable pour certains livres du XIXème, particulièrement lorsque la couverture est illustrée. Le côté rustique de l'ouvrage broché, destiné à un public populaire, fait partie de son charme, et on peut envisager de le restaurer comme tel.
Le problème se pose à deux niveaux: la couture et la couvrure (ici plutôt la couverture).
La couture
-
couture simple à deux fentes de grecquage
Si l'on en croit l'encyclopédie Roret, le brochage traditionnel consistait simplement à faire courir un fil entre deux "chaînettes".
J'ai schématisé le parcours du fil dans la photo ci-contre. En suivant le trajet du fil depuis le point O, on y reconnaîtra facilement le travail de couture usuel, sauf que l'on n'a pas les passages de ficelles qui ici n'existent pas.
Les pointes de flèche sur la figure indiquent les traversées de cahiers. Les boucles en B2 et en A3 figurent les points de chaînette avec passage sous le cahier précédent et retour du fil dans sa boucle.
La couture ne permet pas d'utiliser le cousoir puis qu'il n'y a pas de ficelles pour se fixer dessus.
On se retrouve donc à coudre "à la volée", ce qui est moins facile qu'avec le cousoir car le livre ne manque pas de se tortiller en tous sens. Avec la pratique, on apprend à maîtriser la bête. Je n'ai pas d'information sur la manière dont procédaient les "brocheuses" en pratique et c'est dommage !
-
couture à 3 fentes de grecquage
De fait je n'ai pas utilisé la solution précédente car elle conduit manifestement à une reliure fragile; preuve en est l'état des livres du XIXème construits de cette façon. On ne la retiendra que si l'on veut respecter scrupuleusement l'authenticité de l'ouvrage.
J'ai d'abord essayé plusieurs solutions que je n'ai finalement pas retenues:
- brochage simulé. En réalité, je réalise une couture standard au cousoir, avec ficelles, et je couvre par un papier collé sur le dos. Méthode abandonnée (dos trop rigide).
- double brochage à 4 fentes. Le brochage standard à deux fentes, décrit plus haut, est répété deux fois sur la hauteur du livre. Le travail se fait donc à deux aiguilles simultanées. Méthode abandonnée (travail assez malcommode).
- La solution finalement retenue est basée sur un grecquage à 3 fentes. L'idée semble simple mais le choix de parcours du fil n'est pas évident. On choisira un fil très fin pour ne pas "monter" le dos.
La photo ci contre montre le démarrage au niveau des deux premiers cahiers. Le trajet du fil est propre à ces deux cahiers car on n'a pas encore de cahier précédent pour des points de chaînette ordinaires.
On pourra suivre le trajet à partir du départ en O, jusqu'à la sortie en P. Comme vu plus haut, les pointes de flèche sur la figure indiquent les traversées de
cahiers. Le retour du fil en A1 donne lieu à un double noeud.
La photo ci-contre montre le trajet courant du fil à partir du point P où nous l'avons laissé. Ce trajet est illustré en trait fort de P à Q. On peut le résumer simplement par la phrase suivante. "le fil est tiré entre les fentes de grecquage mais à chaque fente, on entoure le fil passant à cet endroit
sous le cahier précédent (chaînette) ".
D'une manière pratique, il y a quelques difficultés de prise en main que chacun résoudra à sa façon.
Le travail se fait à la volée, on peut conserver la position ouverte du cahier en cours à l'aide d'une pince en carton (les "shadocks" de Marie-Odile). Par ailleurs, on ne serrera pas trop la couture, sans quoi le dos a tendance à prendre un arrondi inversé. Perso j'intercale un carton bulle avant de coudre le prochain cahier de façon à maintenir une certaine souplesse.
Le travail du dos et la couverture
Le dos devra être maintenu aussi plat que possible dans toutes les opérations. Même si ce n'est sans doute pas conforme à la tradition, je renforce le dos d'une mousseline et de krafts, que je ponce soigneusement pour avoir un dos le plus lisse et le plus plat possible. Un très léger arrondi est acceptable, mais un arrondi inverse ne l'est pas (il faut sans cesse lutter contre).
Pour la couvrure, j'assemble les couvertures et le dos d'origine sur un papier japon. Le dos étant généralement perdu, je le remplace par un papier fort. Perso, le papier faisant office de charnière, je le renforce encore par un japon fort débordant sur l'intérieur des plats. Enfin le dos est collé à plat sur le livre.
Complément.
Le
volume fini n'a une forme naturelle que si le dos n'a pas trop "monté",
ce qui suppose un petit nombre de cahiers et un fil très fin. J'ai
cependant rencontré un cas à 36 cahiers, donc à priori inquiétant sous
cet aspect. Je l'ai résolu en mettant au point un schéma de brochage avec "cahiers
sautés" sur un grecquage à 5 fentes. Cette solution assez analogue à la
précédente ne sera pas détaillée ici.
Deux exemples:
Les deux livres ci-contre ont été traités suivant la méthode ci-dessus avec grecquage à 3 fentes.
Les dos ont été recomposés sur papier bleu à l'aide de Picasa, avec la fonture "Bauhaus 93", remplissage des lettres au crayon aquarelle rouge.
Pour la petite histoire, ces deux livres de récréations mathématiques et géométriques appartenaient à Emile Roux, 24, Artillerie 5, Batterie 1.8.155.
On savait s'occuper intelligemment dans les tranchées.