samedi 30 mars 2013

Reliure de sauvegarde, Reliure d'art et Restauration

L'activité en club de reliure génère souvent des discussions sur "qu'est-ce qui relève de la reliure ? qu'est-ce qui relève de la restauration ?". Le but de ma réflexion est d'essayer de clarifier ces termes au regard de l'activité pratiquée dans les clubs.

Je prélève deux définitions dans Wikipedia.
 "La reliure ... consiste à lier, à rassembler les feuilles d'un livre ... de manière à en prévenir la dégradation, ... et souvent, à lui donner une esthétique avenante. Par extension, le terme désigne aussi le résultat de ce travail."
 "La restauration est le fait de redonner à une œuvre, ou à un ouvrage, une apparence que l'on suppose proche de son état initial."

Au regard de ces définitions, on pourrait dégager trois types d'activité dans les clubs.

     1. Une activité que l'on pourrait appeler "reliure de sauvegarde". Elle consiste à reconstruire un ouvrage de façon à lui redonner une robustesse suffisante et un aspect extérieur honorable. La couvrure peut être simplement de  toile, ou toile et papier. Une couvrure cuir, demi-cuir-papier ou demi-cuir-toile, la pratique de fenêtres pour coller titres ou photographies sur les plats, sont en quelque sorte des premières étapes vers la reliure d'art.

     2. La reliure d'art. Au delà du travail de reconstruction (reliure de base), elle consiste à exploiter l'étape de couvrure pour réaliser une création personnelle. Matériaux (peaux d'origines diverses, toiles, bois, autres), style et composition sont à la liberté de l'artiste-relieur. Par contre, la tradition en ce domaine exige une qualité de réalisation de très haut niveau, absolument comparable à celle exigée dans les métiers de l'orfèvrerie, de la marqueterie ou de la joaillerie.

     3. La restauration. Elle se pratique lorsque l'on possède, en principe, tous les éléments d'un livre (texte, illustrations, plats et dos) généralement désolidarisés. L'activité est donc plus technique que créative. L'exigence de qualité du fini est forcément limitée par l'état initial de l'ouvrage (on fait "au mieux"). Par contre la difficulté réside plutôt dans la résolution de problèmes non classiques, propres au "vécu" de l'ouvrage: résorption de tâches diverses, réparation des accrocs, raccrochage des plats, etc...

L'activité de restauration trouve son apogée dans la "restauration de patrimoine", telle que pratiquée dans le monde des musées et bibliothèques, mais qui suppose un cadre de travail extrêmement strict lié au respect des pièces ayant une valeur historique.

J'ai volontairement introduit cette distinction entre restauration ordinaire et restauration de patrimoine. Dans ce dernier cas, il s'agit de documents rares, voire uniques, témoins d'un passé qui leur donne une véritable valeur historique. En milieu institutionnel (musées, bibliothèques), la restauration de ces ouvrages fait l'objet de contraintes très étroites visant à respecter l'intégrité du document (charte de la restauration). D'une manière générale, il s'agit de ne dénaturer le document en aucune façon, ni adjonction ni suppression ni modifications de parties originelles. La restauration est alors restreinte au nettoyage, réparation de déchirures et remontage de l'ouvrage dans sa couverture après couture si nécessaire. Des parties manquantes peuvent être remplacées par des adjonctions neutres, sans but décoratif mais permettant d'assurer la cohésion du document. Les produits de traitement pouvant être utilisés sont très spécifiques (acidité, sensibilité aux U.V., etc...) afin d'assurer un vieillissement correct de l'ouvrage. Il est clair que l'on ne saurait mettre en péril, fut-ce à l'échelle d'un siècle, un document qui peut avoir survécu à deux, trois siècles ou plus d'existence.

Mon point de vue personnel, qui je l'admet peut prêter à discussion, est que ces règles ne peuvent être retenues dans toute leur rigueur pour la restauration d'ouvrages courants par des amateurs. Un amateur souhaitera restaurer un livre qui a pour lui une résonance affective: roman qu'il a aimé, document sur des sujets ou évènements qui le touchent, mais dont le tirage a été suffisant pour qu'on ne puisse le classer parmi les documents rares. Si l'aspect ancien de l'ouvrage reste un attrait qu'il aimera préserver, le souci de reconstituer un objet dans un état très proche de son état d'origine, complet et d'aspect attrayant à la lecture justifie - c'est mon point de vue, je le répète- quelques écarts aux normes évoquées ci-dessus. Complémenter les manques par des éléments photocopiés, recolorer partiellement des couvertures polychromes, remplacer des parties non essentielles délabrées (gardes couleurs), etc... , sont des artifices que personnellement je m'autorise, certes avec parcimonie, mais qui m'apportent une véritable satisfaction esthétique au niveau du résultat. On objectera sans doute une certaine perte d'authenticité" du document. Je crois qu'il s'agit là pour chacun d'un choix personnel qui consiste à placer le curseur entre la rigueur de l'authenticité et le souci d'une esthétique épurée au final.

En résumé, pour l'amateur, on pourrait dire que la reliure de sauvegarde est une activité de base pour simplement sauver les ouvrages que l'on aime, la reliure d'art est un activité de création qui exige à la fois l'imagination et le goût de l'artiste mais aussi l'exigence de perfection de l'orfèvre, la restauration est une activité essentiellement technique qui exige des qualités d'ingéniosité et un goût pour la recherche de solutions pratiques. 

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