Manuela avait un
vieux livre. Pas vraiment délabré, certes, mais comment dire ? Quelques
déchirures par ci par là, quelques feuillets qui ont choisi la liberté, le dos
qui baille à s’en décrocher la couverture ; enfin dans le jargon des
brocanteurs, on aurait dit « en l’état ».
Elle en parle à Camille qui se piquait de quelque expérience
en la matière.
Dialogue reconstitué, presque authentique
Manuela. Camille, pourrais-tu m’aider à recoller ce livre ?
Camille. Recoller, je sais pas faire. Restaurer, on peut
essayer.
M. Ce doit pas être bien compliqué. Recoller deux pages,
raccrocher le dos, puis c’est bon !
C. « Recoller », « raccrocher »,
c’est des mots que je connais pas
M. Appelle ça comme tu veux, mais enfin, combien de temps
faudrait il ? Une heure ? (silence gêné) Deux heures ?
(silence gêné), trois ?
C. Hum ! Pas sûr !
Manuela ne manque pas de courage; mais là, elle ne sait pas ...
M. Tu me fais marcher. Allez, on y va !
C. Bon, si tu veux, on y va !
M. Tu me fais marcher. Allez, on y va !
C. Bon, si tu veux, on y va !
Et voici ce que Manuela a fait, sous les conseils de Camille
1er séance (env. 1 heure)
Désolidariser la couverture
Décroûter l’ancienne colle
2ème séance (env. 2 heures)
Préparer de la colle de pâte (1 farine + 5 eau, à début
d’ébullition).
Creuser la place pour des ficelles, en superposition des
anciennes
Insérer des demi-ficelles sur les anciennes ficelles. Les
fixer à la colle rapide.
Nourrir fortement le dos de colle de pâte
Couper largement la mousseline et la coller
Détacher le dos des deux plats.
Soulever délicatement à la pointe la couverture papier des 2
plats, du côté des mors, jusqu’à une
ligne du décor (ici env. 5mm). Aux extrémités, soulever plus largement (env. 15
mm) le papier.
Nettoyer le carton ainsi découvert.
Arracher l’ancienne mousseline, trancher le papier intérieur
sur le pourtour, le décoller à l’éponge et à la pointe, arracher les zones
de papier intérieur qui se décollent,
poncer les faces intérieures des plats.
Décoller les retours du papier de couverture
(les remplis) sur environ 15 mm à leur extrémité côté mors.
3ème séance (env. 2 heures)
Couture des cahiers désolidarisés (cahiers 2 et 4,
donc couture sur les cahiers 1 à 5).
Couper une longueur de fil épaisseur 25 (ici 6 fois la
hauteur du livre). Détorsader le fil 3 ou 4 fois, le graisser au savon.
Coudre les 5 cahiers sans oublier, à chaque cahier…
… Percer les passages du fil au
poinçon : chaînettes, entrée et sortie sur ficelles.- tirer fortement le
fil plusieurs fois par cahier,
… double nœud à la fin du 2ème
cahier cousu,
… boucles de chaînettes à chaque
changement de cahier
… double boucle de chaînettes
après couture du dernier cahier.
Recouper les débords de mousseline. Couper les ficelles à
15mm env., les partager en 2, les rabattre vers les mors et les y coller.
Couper au moins 4 bandes de papier Kraft couvrant exactement
le dos.
Coller une bande de papier Kraft puis combler les creux par
de petites bandes de papier adaptées. Coller les 3 autres bandes.
Devoir à la maison (1/2 heure) :
Travail préparatoire sur l’ancien dos : décroûter le
dos papier de son cartonnage support.
4ème séance (env. 2 heures)
Finition du dos :
Poncer le dos en soignant particulièrement l’arrondi au
niveau des coiffes. Si nécessaire, recoller une bande de Kraft, laisser sécher,
poncer, etc…
Couper les comètes un peu largement et les coller à la colle
rapide (légèrement en bascule sur le bord du livre). Les recouper au ras du
livre.
Couper une bande de
carton bulle (largeur dans le sens roulant et non cassant du carton).
Largeur : mesure du dos à la bande de papier, longueur : hauteur des
plats + 10 mm.
Elaguer les deux bords de ce carton sur env. 4mm, par ex en
2 temps : au scalpel lame 15, on soulève une épaisseur du carton sur toute
la longueur, à 4mm intérieur, puis on abat au scalpel à plat les 4mm
extérieurs, enfin on finit le chanfrein par ponçage.
Couper une bande de
papier Kraft de même hauteur + 1 cm, largeur = 3 fois le carton bulle +
1 cm. Former les plis du papier en 3 volets permettant d’enrouler le carton
bulle en formant un tube. Recouper le papier Kraft qui déborde.
Encoller la partie centrale du papier Kraft. Y poser le
carton bulle. Refermer le tube ainsi formé en collant les deux volets externes l’un sur
l’autre.
Dégager le papier sur 2 cm en haut et en bas du tube.
Humidifier le soufflet pour l’assouplir. Marquer sur le dos
la zone de collage et l’encoller (colle rapide), encoller le soufflet sur sa
face Kraft, le poser bien centré en hauteur et largeur puis le coller. Vérifier
et éventuellement compléter le collage parfait sur les bords.
Pose d’un côté de la toile :
Couper largement la toile nécessaire : largeur mesurée sur le dos à la bande de papier + 2 fois 15 mm + 2cm de sécurité.
longueur = hauteur des cartons + 2 fois 2cm
Découper un côté de la toile à la forme de la zone de carton
découverte (relevés sur les bords). Coller la toile sur le carton du 1er
plat à la colle rapide. Recouper soigneusement (en principe) le bord du papier
sur un zinc. Rabattre et coller le papier sur la toile.
5ème séance (env. 3 heures)
Collage du dos et du second plat.
Positionner les 2 plats sur le livre, bien centrés. Vérifier
la bas à l’équerre.
Recouper le soufflet au niveau exact des plats.
Porter l’ensemble correctement positionné dans la presse.
Encoller le dos et rabattre le tissu. Assurer parfaitement le collage.
Sortir le volume de la presse. Positionner définitivement le
second plat. Eventuellement recouper le bord du papier. Repérer la coupe du
tissu au fond de la zone du carton nu, y compris les relevés d’extrémité.
Encoller le carton, y glisser le tissu en maintenant le plat dans sa position.
Rabattre le papier et le coller.
Collage des coiffes.
Couper le tissu des coiffes à 15 mm env.
D’un côté : préparer le passage du tissu au niveau des
mors. Encoller la coiffe (colle de pâte) et rentrer le tissu sous le carton en
assurant le passage correct sur les plats. Faire de même pour l’autre coiffe.
Marquer les « oreilles » à la colle de pâte.
Rigidifier les coins et les bords des plats à la colle de
pâte.
Déposer un filet de colle le long des déchirures.
Les couvrir de papier Japon
Couper la garde couleur de façon à couvrir, verticalement la
hauteur des plats moins 2 mm ; horizontalement, la totalité de l’ouvrage
ouvert à plat plus 2 cm.
Reporter au compas sur le pourtour de la partie à coller,
une largeur égale à la plus grande « chasse » visible. Découper cette
largeur.
Coller cette partie à la colle de pâte.
Maintenir le plat replié à 60 degrés environ. Encoller
l’intérieur du mors à la colle rapide en débordant de 5 mm sur la première page
du livre (protéger par une macule). Forcer le papier couleur dans le mors à
l’aide de l’arête du plioir droit, puis de la règle. Mettre à sécher en
maintenant l’angle de 60 degrés.
Devoir à la maison (env. 1/2 heure)
Compléter les manques de couleur de la couverture à la
peinture acrylique
6ème séance (env. 1 heure)
Recouper la première garde couleur après avoir marqué les
bords de l’ouvrage
Monter la deuxième « garde couleur » comme
précédemment (5ème séance)
Après séchage, la recouper comme la première.
Arracher le papier Japon excédentaire à la pince à épiler.
L’araser au scalpel. Poncer.
Ouf ! c’est fini !
Fin de la discussion, presque authentique
M. Oui, mais ça fait 12 heures, tu m’avais dit 3 heures !
C. Peut-être, mais je n’avais pas dit combien de fois 3
heures…
Les photos ci-après montrent Manuela au travail,
et l’ouvrage fini.