Depuis longtemps, je souhaitais pouvoir explorer les usages potentiels de "la découpe Laser" pour certains travaux de reliure, en particulier pour les tâches liées à la "décoration du livre". Cet article rassemble les résultats d'une séquence d'essais techniques sur le sujet, réalisés au "Fablab" de Vigneux-sur-Seine, depuis Avril dernier.
A priori, la découpe Laser permet d'espérer des résultats intéressants, en ce sens qu'elle concerne fondamentalement le travail de surfaces planes, qui seules peuvent trouver leur place sur les plats d'un livre. Notons cependant que cette technique est en concurrence avec une autre technique de découpe (Cricut, Scancut...) utilisant une lame (type lame de scalpel), pilotée par ordinateur, technique que je me réserve d'explorer ultérieurement.
Précisons par ailleurs qu'une machine de découpe Laser peut également permettre une opération de "défonçage", c'est à dire qui ne traverse pas le support et réalise alors une forme en creux, de profondeur constante, dans un support suffisamment épais (ex. carton de reliure). Les photos 2-3 (paragraphe 2) montrent un exemple de "découpe" et 11 (par. 4) un exemple de "défonçage".
Il est clair qu'un atelier de reliure ne saurait disposer d'une telle table de découpe Laser, très encombrante et d'usage restreint. Néanmoins, on trouve de plus en plus ce type d'outil dans ces structures publiques appelées "Fablab", dont la vocation est de diffuser les outils numériques vers les PME, les associations, etc; accessibles aux particuliers pour des tarifs d'inscription modiques.
Précisons d'abord que la découpe Laser est commandée par des logiciels installés sur des ordinateurs. Cette pratique suppose donc un apprentissage des logiciels, partiellement assuré par les animateurs des "Fablab", mais qui nécessitent quand même une "prise en main" personnelle par le pratiquant. Personnellement, j'ai dû m'investir dans 2 logiciels: "Inkscape" qui est un logiciel performant de dessin 2D, et "Rdworks", plus élémentaire, qui commande l'exécution par la machine. Notons que ces 2 logiciels sont accessibles gratuitement sur Internet. Il est possible qu'en fonction de la machine Laser considérée, ce soient d'autres logiciels qui devront être mis en œuvre.
1. Généralités sur la découpe Laser
Donnons d'abord quelques généralités sur le processus Laser. La découpe laser procède d'un rayon très fin qui "brûle" localement le support. Ce principe peut éliminer certains choix de matériaux, dont la combustion serait potentiellement nuisible sur le plan environnemental. Pour la reliure, carton, cuir, plexiglas sont acceptés. Certains types de plastique pourraient par contre être refusés.
Le processus a deux effets dont il conviendra de tenir compte; le premier sur le plan géométrique, le deuxième sur le plan de l'aspect.
Sur le plan géométrique, le "brûlage" se traduit par une légère diminution dimensionnelle sur tout le bord de la découpe. L'essai suivant donne cette valeur pour un cas "standard".
On découpe une série de 10 rectangles dimensionnés en largeur à 20mm à partir du logiciel. Après réassemblage des rectangles, l'ensemble ne mesure que 196mm (photo 1). La brûlure occasionne donc une perte de 4/10mm par rectangle, soit 2/10mm de chaque côté. A noter que le résultat obtenu est le même si, plutôt que de découper 10 rectangles projetés à 20mm, on découpe une bande de 200mm en 10 parties. La conclusion est que la découpe détruit une largeur de 4/10mm de matériau, soit 2/10 de chaque côté de la coupe.Sur le plan de l'aspect, la découpe Laser laisse un effet de "brûlé" sur les bords, particulièrement visible pour le cuir. Cet effet est sans conséquence pour une pièce de carton qui serait par la suite "habillée" de cuir. Pour une pièce de cuir décorative, sauf à accepter cet effet comme un effet de style (style "trait de crayon), une idée simple consiste à inverser la pièce de cuir sous le faisceau, et conséquemment inverser le dessin (qui peut être du texte), lors de l'étape de conception en 2D (Inkscape).
Afin d'explorer les possibilités du système pour la reliure, je me suis proposé une série d'objectifs qui, soit sont pénibles, soit carrément impossibles à réaliser à la main. Plus précisément, j'ai considéré les questions suivantes:
- Découpe de titres en carton, à habiller (en général de cuir sous pression à l'émalène)
- Réalisation de titres en cuir, en relief ou incrustés
- Découpe de cuir et/ou cartons de formes complexes
2. Réalisation de titres par découpe de carton
Une possibilité consiste à coller les lettres directement sur le plat du livre et habiller l'ensemble avec du cuir, sous pression à l'émalène (ph.4). Si l'on juge le titre trop peu visible, on peut opérer un certain blanchissement des lettres par un léger ponçage de surface, ce qui augmente leur visibilité.
Une autre possibilité consiste à "habiller" indépendamment chaque lettre d'un cuir fin sous pression à l'émalène. La lettre doit ensuite être découpée au scalpel à sa base, le scalpel légèrement rentrant sous la lettre. Cette opération est relativement délicate, et génère des "accidents" qu'il convient de masquer à la peinture. Ces lettres ainsi préparées peuvent alors être directement collées sur un plat pré-décoré. Sur la photo 5, les lettres ont été insérées dans des décaissements (voir ex. de "décaissement" ph.11) de même forme que la lettre. Dans ce cas, il faut prévoir pour ce décaissement un dessin légèrement "augmenté" par rapport à la police de base (+3/10mm), à l'aide de la fonction "décalage lié" (offset) disponible dans Inkscape, afin de tenir compte de l'épaisseur du cuir. Noter que cette fonction ne réalise pas une homothétie, qui ne convient pas, mais ajoute une bande de largeur constante sur tous les bords extérieurs de la découpe.
2. Réalisation de titres en cuir insérés bord à bord
Un titre peut être découpé directement dans du cuir et inséré dans le décor d'un plat.
La découpe d'un titre génère en général des lettres séparées (ph.6) qu'il conviendra de redisposer pour reformer le titre. On ne descendra guère au dessous de 8mm de hauteur pour une police donnée.
En réalité, la découpe directe produit des effets de "brûlé" au bord des lettres. Sauf à accepter cet effet comme un effet décoratif (effet dessin au crayon), on s'en débarrasse en attaquant la découpe sur l'envers du cuir, moyennant une inversion du titre (effet miroir) au niveau du projet. La photo 7 montre d'ailleurs l'effet de brûlé" ainsi renvoyé sur l'envers des lettres.
Certaines polices produisent une écriture continue (ph.8) sans rupture entre lettres. Le logiciel permet de disposer cette écriture suivant une courbe arbitraire, ce qui produit des effets d'écriture manuscrite assez convaincants.
Dans la solution bord à bord le cuir de couvrure est évidé par découpe Laser suivant le tracé du titre (ph.9). Les lettres à insérer sont découpées dans un cuir de couleur différente, avec une augmentation (décalage lié) de 2,5/10 sur leur pourtour. Le décalage rattrape l'espace brûlé à la découpe. Les lettres s'enchassent alors très exactement bord à bord dans leurs logements (ph.10).
3. Réalisation de titres en cuir insérés en creux
La photo 12 présente une utilisation de lettres insérées dans des décaissements appropriés.Un carton est creusé ("décaissement") suivant le tracé du titre moyennant une augmentation du profil des lettres (option "décalage lié") de 3/10 sur leur pourtour (ph.11). L'ensemble est recouvert d'un cuir et pressé à l'émalène (ph.13). Les lettres sont ensuite logées dans les creux (ph.12).
De cette prospective sur la confection de titres par découpe Laser, les solutions 10 puis 12 me paraissent ressortir comme les plus convaincantes.
4. Découpe de formes complexes.
La découpe de formes complexes passe évidemment par une bonne connaissance du logiciel 2D, plus approfondie que pour les titres, qui, eux, sont prédéfinis par le logiciel (polices de caractères. Elle est cependant intéressante pour toutes les situations où une même découpe devra être répétée un certain nombre de fois (cas d'ouvrages en plusieurs volumes, par ex.), et également pour la création de motifs géométriques, le logiciel autorisant toutes les opérations proprement géométriques (droites, cercles, symétries...) avec une précision parfaite.
La photo 15 montre ainsi un carton dans lequel a été prélevé un motif de forme byzantine, lequel a servi à former un relief après recouvrement par un cuir. La forme de découpe externe est reproduite à partir de la forme interne par simple "décalage lié".
La photo 14 montre un cadre devant servir de "médaillon" pour une figurine. Elle est construite à partir de 3 épaisseurs de carton superposées puis poncées. Les parties de l'ovale sont 4 cercles parfaits symétriques par paires. Les 3 cartons superposés sont de largeurs décroissantes par utilisation du "décalage lié" à partir du premier.
Une potentialité particulièrement intéressante concerne la découpe de formes "compliquées". L'exemple suivant a été choisi pour mettre le processus "à l'épreuve" (fig 16), et accessoirement retenu pour le décor d'un livre. Les lobes de l'étoile sont "presque" identiques, sauf leurs bords qui sont de formes volontairement "tarabiscotées". Après découpe, les formes doivent s'assembler parfaitement. Le résultat de l'assemblage apparait assez convaincant.
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