jeudi 2 mai 2013

Laver des pages à l'eau de Javel

Ce message traite de la possibilité de laver des pages de livre à l'eau de Javel. Ce sujet est fortement polémique. Par conséquent je tiens à préciser que je prends la méthode qui va être décrite et le message qui s'en suit sous mon entière et unique responsabilité.
Mlle Royer, notre formateur au club des Lieurs, par ailleurs anciennement restauratrice de livres à la BNF, est fermement opposée à cette pratique. Je respecte ce point de vue, qui trouve d'ailleurs à mon sens sa pleine justification lorsqu'il s'agit de documents de patrimoine. Mais comme j'en ai discuté dans mon message du 30 Mars, je pense que l'on peut, au moins dans des cas extrêmes, relaxer un peu cette contrainte lorsqu'il s'agit  de documents ayant connu une large diffusion, et dont la valeur est essentiellement affective.

Afin que les choses soient claires, j'insiste bien sur le fait que Mlle Royer n'est aucunement à l'origine de ma décision de mettre en oeuvre cette pratique, pas plus que du descriptif que je vais en faire ici.

Un cas difficile !!!

Les photos ci-après montrent quelques pages d'un ouvrage qui m'a poussé à cette solution "extrême".

A gauche, quelques pages avant l'opération, à droite les mêmes pages après l'opération.
Sur les deux ensembles, la photo 1 montre la page de faux-titre (premier feuillet), la photo 2 un feuillet intermédiaire (le feuillet 486-491), la photo 3 une gravure parmi d'autres, la photo 4 les pages 544-545 (dernières pages).

Comme on peut s'en douter au vu du premier ensemble où l'on voit la première et la dernière page, tout le livre est uniformément tâché au départ. Pensant me venir en aide, mon épouse me propose aimablement une poubelle, que je refuse, toutefois sans grande conviction.

Le cas est évidemment trop grave pour une solution "légère" du type proposée dans mon "post" du 20 Février. Par ailleurs, un essai de lavage d'une page à l'eau claire donne un résultat pitoyable. Je ne vois donc d'autre solution que de recourir à l'eau de Javel.




 
La photo ci-contre montre l'installation générale de mon atelier de lavage. Au fond, sur la "paillasse", les 4 bacs de lavage; à gauche, sur la table à tréteaux, la zone d'égouttage, puis au dessus la corde à linge pour le séchage.







La chaîne de lavage

Les photos ci-après montrent plus en détail la chaîne de lavage, avec ses 4 bacs. 1: traitement à l'eau de Javel, 2: premier rinçage, 3: Neutralisation à l'hyposulfite de sodium, 4: deuxième rinçage. Les feuilles circulent entre ces 4 bacs avant de passer au séchage.


La question se pose des dosages et des temps d'immersion.
L'eau de Javel agit en fonction de 3 paramètres: la température, la concentration et le temps de maintien dans le bain. J'élimine le facteur température qui ne joue que pour la première "fournée" de pages, ou bien à chaque régénération du bain. Le récipient est un ancien dessus de cuisinière, qui peut recevoir environ 5 litres d'eau. J'y dissous une pastille d'eau de Javel. Noter que le bain s'épuise assez vite, et qu'après 4 "fournées" de 2 feuillets, les tâches ne sont plus suffisamment éclaircies même après 8 heures de bain. Il faut donc déjà le régénérer.
Pour ce qui est du temps, je procède usuellement en 3x8, ce qui permet de fixer un rythme: matin au lever, milieu d'après-midi, soir au coucher. Noter que juste après une opération de régénération, le temps peut être plus court (Par ex. 3 heures).
La surface du bac Javel ne permet d'étaler que 2 feuillets avec une superposition partielle. On peut craindre des effets de "cache", une page cachant l'autre. J'ai malgré tout maintenu cette disposition (voir photo), afin de raccourcir la durée totale de l'opération. Aucun effet de "cache" ne s'est produit. Cependant je ne préconiserai pas de superposer plus de 2 feuillets dans le bac.

Le premier rinçage est effectué dans un bac contenant beaucoup d'eau. Les feuilles ont tendance à se superposer au fond du bac, ce qui peut faire craindre qu'elles soient insuffisamment lavées. C'est un problème pour lequel je n'ai pas pour l'instant de palliatif.

Le 3ème bac (un autre dessus de cuisinière) consiste en une neutralisation à l'hyposulfite de sodium (fixateur des anciens photographes). La quantité de produit préconisée est de 10g par litre. Par contre, je ne dispose d'aucun indicateur d'épuisement du bain. Je me suis donc contenté d'une régénération périodique, environ trois fois moins fréquente que l'eau de Javel.

Le 4ème bac consiste en un 2ème rinçage. Les questions qui se posent sont les mêmes que pour le premier. rinçage. L'idéal serait évidemment un rinçage en eau courante, mais il est impraticable pour le particulier.

Le séchage

Les photos ci-contre illustrent les opérations de séchage. La première photo montre l'égouttage des pages sur un lit de papier absorbant (Sopalin). La deuxième photo montre le séchage final sur corde à linge.

 L'égouttage sur papier absorbant est nécessaire car la fragilité de la feuille mouillée ne permet pas de l'étaler directement sur fil à linge. Cependant, après 8 heures d'égouttage, le feuillet peut être manipulé et installé à cheval sur le fil.

Remarques pratiques

Noter que les transferts de pages entre bacs sont d'une extrême délicatesse, la feuille mouillée étant devenue extrêmement fragile. De petits accrocs sont fréquents, et quelquefois de franches déchirures, qui nécessiteront après séchage une réparation au papier Japon.

On constatera en général que le papier est devenu très blanc. L'inconvénient est mineur pour un livre lavé entièrement, que l'on pourra laisser ainsi. Il est plus gênant pour un lavage partiel. Certains suggèrent le brunissage dans une eau de thé, de café, ou d'autres colorants. Personnellement je n'ai jamais obtenu de bons résultats pour cette opération, et pour l'instant je ne la pratique pas, faute de solution crédible.

Après séchage, les pages apparaissent légèrement froissées. On les défroisse très correctement par simple pressage dans la presse à balancier.

Reste la question de la perennité de l'opération dans le temps. Personnellement, mes premières expériences de lavage remontent aux années 1974-1975, soit près de 40 ans, lors de mon initiation à la reliure, dans des conditions de travail beaucoup plus sommaires. Je ne constate aujourd'hui aucune altération de ces  ouvrages, dont le papier est resté uniformément blanc.

Le lavage à l'eau de Javel peut aussi être appliqué dans le cas de "rousseurs". Le résultat est cependant, en général, moins convaincant que dans le cas précédent (mouillures). On n'y aura recours que pour des cas de rousseurs extrêmes, sachant que des "nuages" jaunes pourront éventuellement subsister au final.

Enfin on notera que le lavage d'un livre de 550 pages + 40 gravures (l'ouvrage ci-dessus), sur une base de lavage en 3x8 par paires de feuillets, plus quelques relavages pour cause de résultats insatisfaisants, nécessite environ 1 mois.
La restauration est un sport d'endurance !

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